À quelques jours de la célébration de l’Armistice du 11 novembre 1918, Il est un phénomène dont on parle peu ou pas du tout: le vin, qui a joué un rôle clef et ambivalent dans la première guerre mondiale, à la fois béquille du Poilu pour supporter l’horreur, mais aussi fauteur potentiel de désordre.
Une consommation qui changea les hommes, et le vin aussi !
Noyer l’absurdité d’une guerre dans des flots d’alcool
Le « pinard » ou le sang des poilus
Avec 6 400 morts par jour chez les militaires — le double si l’on ajoute les civils, la première guerre mondiale a été l’une des plus meurtrières de l’histoire.
Pour tenir, les soldats français se sont bien souvent réfugiés dans l’alcool, encouragés par leur hiérarchie qui veillait à ce qu’ils ne manquent jamais de « pinard ».
En quelques années, le vin a ainsi gagné le statut de breuvage patriotique, paré de toutes les vertus.
- Un quart de litre de vin par jour en 1914 (+ 6,25 cl d’eau de vie),
- puis un demi-litre en 1916,
- puis un litre en 1918.
La « ration » ordinaire des Poilus – largement augmentée par ce qu’ils achetaient auprès de « mercanti » derrière des lignes – donne une idée de l’importance, pour l’état-major, de la présence au front du « Père pinard« .
«De tous les envois faits aux armées au cours de la guerre, le vin était assurément le plus attendu, le plus apprécié du soldat. Pour se procurer du pinard, le poilu bravait les périls, défiait les obus, narguait les gendarmes. Le ravitaillement en vin prenait, à ses yeux, une importance presque égale à celle du ravitaillement en munitions. Le vin a été pour le combattant le stimulant bienfaisant des forces morales comme des forces physiques. Ainsi a-t-il largement concouru, à sa manière, à la victoire. »
Ce texte est de la plume de Philippe Pétain, dont le nom résonne à l’époque comme celui d’un héros national.
Livré par l’intendance des armées, le vin abreuve presque sans limite des millions de soldats, qui lui donnent son heure de gloire en le baptisant parfois « saint Pinard » ou « père Pinard ».
Acheminé d’Algérie par les « cargos pinardiers » ou issu des vignobles du Portugal, de l’Espagne et surtout du Languedoc, le vin est transporté en vrac par convois ferroviaires jusqu’à la zone des armées.
Il s’agit d’un vin rouge de qualité très médiocre couramment coupé et « remonté » par adjonction de potions chimiques susceptibles de lui redonner certaines des caractéristiques d’une boisson naturelle.
« Le vin convient particulièrement à ceux qui ont à fournir un travail puissant et rapide et plus spécialement au soldat qui se bat », observe, dès 1915, le docteur Armand Gautier.
« Donner du vin à nos hommes, c’est leur éviter bien des maux (refroidissements, bronchites, pneumonies, diarrhées, etc.), c’est épargner à l’État beaucoup de journées d’hôpital, c’est conserver nos combattants, c’est entretenir leur force et leur bonne humeur. »
Au combat, le pinard réchauffe les cœurs, donne du courage et suspend, un temps, l’épouvante qui s’empare de chacun au moment de l’assaut.
Sa consommation devient également pour les hommes un moyen de tenir dans l’inaction, en palliant la perte de sens d’une guerre de plus en plus perçue comme absurde.
Le vin est alors couramment lié au tabac et à la gnole, et constamment associé aux femmes et aux jeux de l’amour.
De nombreuses cartes postales relaient des formules plus ou moins heureuses :
« Vive le pinard, l’amour et la bouffarde ! »
« Sur le plumard, passe-moi ton quart, t’auras du pinard ! ».
À côté des images, les jeux de mots foisonnent, offrant aux « canons » ses « bons tirs d’arrosage ».
Les autorités entretiennent une politique d’alcoolisation massive.
Le front ne manquera jamais de vin.
De douze à dix-sept millions d’hectolitres ont été bus chaque année, de 1914 à 1918.
Durant tout le conflit, l’enivrement devient un phénomène répandu qui n’épargne personne.
La consommation excessive de vin est relayée par les innombrables témoins de ces pratiques massives.
« Je bois mon litre à chaque repas, je suis devenu soiffard depuis la guerre », « Je ne me savais pas encore aussi capable d’avaler tant de pinard. »
Après les grandes tueries de Verdun et de la Somme, le poids de la guerre devient insoutenable pour les hommes, saturés d’injustices et de souffrances. Pour la ration réglementaire du soldat, ils obtiennent des autorités militaires au moins un litre de vin par jour et par personne, auquel s’ajoute une ration de gnole (6,25 centilitres par homme), distribuée quotidiennement à l’aube à toutes les troupes stationnées dans les tranchées.
Lorsque les assauts sont imminents, le vin habituel est donc complété par la « ration forte » et par l’eau-de-vie.
Associé à la gnôle, parfois coupé avec de l’alcool à brûler, voire de l’éther, le pinard joue alors le rôle attendu d’excitant et de désinhibant : « On nous donnait une espèce de goutte avant l’attaque, ça nous rendait fous », a indiqué un poilu.
Des cas de « délires alcooliques » se multiplient.
Certains hommes sont envoyés à l’arrière pour de véritables cures de désintoxication.
L’ivresse est à la base du plus grand nombre des infractions poursuivies devant les conseils de guerre.
Après l’armistice de 1918, le vin devient le « pinard de la victoire », qui, célébré dans la presse, prolonge l’intense propagande qui lui a été faite durant tout le conflit.
Vidéo fournie par un lecteur:
RAD (Sources Christophe Lucand, historien, enseignant-chercheur)
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