Coronavirus – maisons de retraite : les seniors coupés du monde ?

 

Nous publions ci-après des extraits d’un article paru dans Le Monde du 17 mars 2020.

Cet article pour le moins interroge !

 

 

Il est l’oeuvre de Paul-Loup Weil-Dubuc, docteur en philosophie, responsable du pôle recherche de l’Espace éthique de la région Île-de-France

 

« Ehpad : les seniors seront coupés du monde »

 

 

La décision d’interdire les visites dans les Ehpad est, selon le philosophe, motivée par la peur de l’opinion publique, qui serait touchée si l’épidémie se propageait aux anciens, mais ne semble pas choquée qu’ils puissent « mourir par isolement ».

 

Extraits:

« L e président de la République avait pourtant appelé à des mesures proportionnées. Dans un Ehpad, il l’avait clairement dit : les mesures trop contraignantes ne seront pas « tenables ».

Quelques jours plus tard, et d’un seul coup d’un seul, les Ehpad sont interdits aux visiteurs sans que les équipes et les résidents aient eu leur mot à dire, sans qu’ils aient pu anticiper cette mesure.

On ne comprend pas bien.

Est­-ce là l’idée qu’on doit se faire d’une mesure tenable ? Les personnes âgées vont­-elles tenir ? On n’en sait rien. Leur a-­t’­on seulement demandé ce qui est vivable pour elles ?

 

Les personnes âgées de plus de 80 ans sont particulièrement fragiles face aux complications mortelles du Covid­19. On estime à 15 % le taux de mortalité dans cette catégorie de la population.

Qu’il faille protéger les résidents des Ehpad en restreignant les visites, en demandant aux personnels et aux visiteurs d’observer des mesures de précaution, cela tombe sous le sens. Mais l’interdiction, à quoi rime­ t­’elle ?

 

En coupant les personnes de leur famille et de tous les intervenants extérieurs, on les coupe d’un virus qui pourrait les tuer, mais on les coupe aussi de ce qui les fait vivre.

Une conversation avec ses enfants, une sortie, un rendez-vous chez le coiffeur, une séance de kiné, etc., ces activités sont devenues dangereuses en temps de coronavirus, mais la vie est un processus dangereux, et le vieillissement accroît encore ces risques.

 

Imaginons un instant les conséquences de cette interdiction.

Du jour au lendemain, les habitudes quotidiennes se perdent, les liens affectifs s’étiolent. Les résidents comptent souvent sur la présence de ces visiteurs, familiaux ou professionnels (notamment les auxiliaires de vie), mais aussi sur leur aide pour aller aux toilettes, changer leurs protections dans des délais un peu raisonnables.

De cette intime conviction que leur vie n’importe plus, qu’elle ne produit plus aucun effet sur le monde, de ce sentiment qu’ils ne sont plus qu’un corps à gérer, il arrive souvent que les gens meurent ou « glissent ».

 

Pourquoi isolons ­nous ces personnes déjà isolées ?

Pour préserver leur vie ? Mais quelle vie préservons ­nous ?

En soi, cette différence interroge : peut­ on éviter le coronavirus sans se soucier des conséquences de l’isolement ?

On peut proposer l’hypothèse suivante : au fond, les morts dues au coronavirus sont considérées comme évitables. A contrario, et de façon beaucoup moins rationnelle, une sorte de fatalisme étrange nous invite à penser que les morts dues à l’isolement sont inéluctables… de ces morts par isolement nous ne nous considérons pas vraiment comme responsables.

 

C’est en effet au regard de la responsabilité politique qu’elle engage, question devenue centrale après l’épisode de la canicule en 2003, qu’il faut interpréter cette interdiction des visites dans les Ehpad.

Si bien que la motivation invoquée pour en décider, à savoir la santé des vieux, semble douteuse. Car si, vraiment, cette finalité était au cœur de cette décision politique, le critère en eût été le nombre de porteurs potentiels du virus, qu’ils soient salariés des structures ou non. Il eût suffi de diminuer significativement le nombre de visiteurs et de les astreindre à des mesures fortes de précaution, ce qui avait d’abord été proposé.

 

Eviter le scandale sanitaire

 

Mais ce qui a été décidé est très différent : la venue de personnes extérieures est purement et simplement interdite. Ces personnes dites « extérieures » n’ont pourtant pas plus de risques que le personnel des établissements – infirmiers, aide soignants, etc. – de porter le virus. Elles ne sont pas non plus moins disposées à observer des mesures de précaution.

 

S’il en a été décidé ainsi, c’est qu’on ne pourra bien évidemment jamais reprocher à l’Etat d’avoir autorisé les employés des Ehpad à faire leur travail. Le principe de la continuité de services l’emporte ici, très logiquement d’ailleurs, sur le risque irréductible de contamination.

En revanche, un nouveau scandale sanitaire éclaterait si des cas de coronavirus apparaissaient alors même que l’interdiction des visites extérieures n’avait pas été décidée. Et ça, il faut l’éviter, à tout prix. .

En interdisant les visites, ce n’est finalement pas les vieux qu’on protège. Ce sont d’abord les décideurs politiques qui ouvrent le parapluie.

Il serait pourtant trop facile de leur jeter la pierre : c’est avant tout de l’opinion publique que vient la menace du scandale dont ces décideurs veulent se protéger. Or cette opinion publique a pour principal souci de protéger sa conscience morale.

Il serait, pour elle, affreux que l’épidémie touche massivement les résidents des Ehpad ; il est moins affreux, visiblement, qu’ils soient coupés du monde pendant plusieurs semaines.

 

Entre l’isolement forcé des personnes vulnérables – personnes âgées, personnes porteuses de handicap,  la mise à l’écart des centres d’hébergement de ceux qui sont jugés à risque – sans ­abri, migrants, demandeurs d’asile et le risque d’avoir à trier les patients en réanimation et aux urgences, ce sont donc encore les plus fragiles qui paient le prix fort de l’épidémie. »

 

 

RAD

 

 

 

4 commentaires sur Coronavirus – maisons de retraite : les seniors coupés du monde ?

  1. En effet le seul souci des politiques c’est de se protéger de toutes éventuelles critiques sur leurs décisions. Les individus ne comptent pas vraiment dans leurs raisonnements. Sinon comment expliquer les comportements policiers contre les infirmières manifestant dans la rue il y a quelques semaines, criant les désastres à venir.
    Elles deviennent brusquement avec les centaines de médecins démissionnant de leur fonctions administratives pour les mêmes raisons, des héros nationaux utilisés au grès des besoins politiques. Le confinement logiquement imposé ne cache cependant pas les lacunes d’équipements, d’approvisionnement en matériels et du nombre de personnels dans nos hôpitaux, conséquences des décisions politiques d’une suite de gouvernements destructeurs de notre société. Le manque de masques de sécurité est l’exemple le plus significatif de l’incompétence de ces décideurs reportant les responsabilités sur les gens et leurs comportements il est vrai parfois déraisonnables. Il va falloir un jour faire les comptes et enfin pouvoir aussi trier le bon grain de l’ivraie .

  2. Je suis d’accord. Les décisions politiques en France relèvent de l’amateurisme en ce temps d’épidémie. Alors qu’il est reconnu que la peur représente une faille à la propagation du virus, le Gouvernement est le premier à être vecteur de ce sentiment alors que son rôle est de PROTEGER, RASSURER, ACCOMPAGNER, ANTICIPER, INSPIRER LA CONFIANCE ! Concernant les anciens et les handicapés enfermés dans leur institution, si les gouvernants étaient capables de se mettre à leur place ne serait-ce que quelques heures, ils ne prendraient pas de telles mesures. Tout le monde sait pourtant l’angoisse que génère le fait de se retrouver dépendant. Mais ça ne semble pas être à la portée de ceux qui sont aux commandes ! UN PEU DE COMPASSION DANS CE MONDE D’INCONSCIENCE S’IL VOUS PLAIT !

  3. Des footballeurs gagnent plus d’un million d’euros par mois pendant que les chercheurs sont payés ,eux, 1800 euros…
    Et bien, allez donc voir Ronaldo ou Messi pour trouver un remède à la maladie !

  4. Aujourd’hui 22 mars le gouvernement va décréter , il n’y a plus de votes, une loi pour établir un état d’urgence sanitaire. Cette mesure parait être de pur bon sens pour tenter d’enrayer cette épidémie. Pour y parvenir, le parlement donne alors les pleins pouvoirs à ce gouvernement. Cette procédure exceptionnelle, mise en place pour lutter contre le terrorisme, comporte cependant quelques règles régies par la fameuse loi de 1955 qui impose au gouvernement des procédures d’informations sur le contenu de cette loi.
    Les députés et sénateurs sont censés connaitre tout le contenu de cette loi : les avis des experts médicaux et celui du comité de la santé publique, les décisions sur les libertés individuelles et collectives du peuple, les champs d’application et la durée de cette situation…….
    Le gouvernement semble refuser ces contraintes légales : éviter les pertes de temps !!! Suite à quelques incompétences dans la gestion de cette crise : état des hôpitaux des matériels et des personnels une grande méfiance s’est installée avec la population et certains des élus de l’opposition. Un manque de transparence sur ce sujet aggraverait encore plus la suspicion à l’égard de ce gouvernement.

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