A la différence de la commune, la notion de communauté de communes n’est pas familière au grand public qui la considère souvent comme un échelon supplémentaire complexe, voire quelque peu superflu, de l’organigramme administratif français.
Peu de choses sont faites pour faire connaître les communautés de communes, tant par elles, qu’en haut-lieu ou dans les municipalités.
L’impuissance historique de la commune à assumer son destin
A la Révolution, l’Assemblée constituante a choisi de conserver la multitude de paroisses et de communautés de l’Ancien régime. En ces temps où le rôle communal est surtout perçu comme un relais de l’Etat et de ses décisions au niveau local, on ne tarde pas de s’apercevoir du défaut criant dont souffre le système:
- d’une part, la difficulté de trouver des administrateurs de qualité sur de trop petits territoires (en une époque où 70 à 80 % de la population était paysanne et où l’instruction était rudimentaire).
- d’autre part, la difficulté pour ces petites collectivités de réunir les moyens, tant techniques que financiers, pour assumer les obligations qui ont été mises à leur charge.
Ces problèmes ne vont cesser de s’accroître avec le temps, tout comme l’augmentation des obligations mises au compte des communes.
La réforme de l’entité communale : une permanente et stérile tentation
L’idée de créer une entité cantonale, soit en substitution, soit en complément de la commune, allait hanter les cerveaux administratifs et politiques pendant un bon siècle.
Lors du vote de la loi sur l’administration municipale de juillet 1837, son rapporteur, Alexandre-François Vivien, tentera sans succès de créer une assemblée périodique des maires du canton pour débattre sur des sujets précis.
L’un de ses plus ardents soutiens, Odilon Barrot, introduira dans la Constitution du 4 novembre 1848, la notion de conseil cantonal doté d’un budget. Ce conseil demeurera au stade de vœu pieux, faute de loi organique venue préciser son fonctionnement.
Gambetta, en 1881, place le canton en « point de départ d’une réorganisation administrative du pays ».
L’année suivante, le ministre de l’Intérieur René Goblet présente au Parlement le projet d’un « conseil cantonal » constitué de 11 membres plus un délégué par commune, et jouissant d’un budget particulier.
En 1883, le député De Lanessan défend une proposition de loi visant à réduire le nombre de communes.
Tous se font renvoyer à leurs cogitations par une majorité de leurs collègues parlementaires. !!!
Néanmoins, si la formule cantonale fera finalement long feu, si la coopération intercommunale s’affirmera, la tentation du pouvoir de réduire le nombre pléthorique des communes ne s’éteindra pas.
Vichy prévoira, notamment de supprimer les communes de moins de 1 000 habitants. Le pouvoir gaulliste envisagera encore la réduction du nombre de communes, sans y réussir : mai 1968 était passé par là…
L’idée n’est pas abandonnée, encouragée aujourd’hui par la loi NOTRe.
Au 1er janvier 2017, la France compte toujours 35 416 communes ce qui en fait le pays d’Europe en ayant de loin le plus grand nombre.
La lente reconnaissance du fait intercommunal
Dès que les communautés humaines ont connu un semblant d’organisation, il leur a fallu savoir gérer les problématiques où les intérêts de plusieurs d’entre elles étaient concernées.
La mise en œuvre de cette coopération obligatoire a été codifiée par une loi de juillet 1837.
L’Etat poussera dans les années 1880, à la réalisation de certains équipements publics (établissements de bienfaisance, hôpitaux, écoles spécialisées…) qui se traduira par l’instauration du système de l’entente entre communes « sur les objets d’utilité communale qui intéressent plusieurs communes ». La loi de 1884 en codifie le fonctionnement (débats intercommunaux au sein d’une « conférence »), chaque conseil municipal demeurant décisionnaire, l’unanimité de votes est requise.
Il aura donc fallu presque un siècle pour que le législateur consente à instituer la coopération intercommunale.
La naissance, l’expansion et les limites du syndicat de communes
Très vite, la formule de l’entente intercommunale est apparue insuffisante. Revient sur le tapis l’idée de créer des sortes de « commissions intercommunales ».
La loi du 22 mars 1890 instaure, sur ce modèle, les « syndicats de communes », créés « par la volonté des communes » en vue d’une « œuvre définie » (objet unique), auxquels elles doivent fournir des « ressources suffisantes » (le pouvoir financier reste aux conseils municipaux).
Même si 4 syndicats de communes sont créés l’année de la loi, un quart de siècle après son institution, on en compte seulement 40 en 1914…
L’essor des syndicats intercommunaux se conjuguera avec l’expansion, après la grande guerre, de l’électrification des communes : 1 674 syndicats d’électrification existeront en 1936.
L’usage généralisé du syndicat intercommunal pour l’adduction de l’eau potable se développera à partir de 1945.
En 1952, on compte 3 828 syndicats de communes.
Des initiatives refondatrices
Les syndicats mixtes pour l’exploitation des services publics sont créés en 1935
En 1959, est instaurée la notion de « majorité qualifiée » dans les délibérations, en lieu et place de la paralysante règle d’unanimité.
Sont mis en place les « districts urbains » puis les « communautés urbaines » qui sont dotés de compétences obligatoires (défense incendie et logement) et prélèvent une fraction de la taxe locale sur le chiffre d’affaires.
En parallèle, l’Etat gaulliste s’efforce de susciter le regroupement des communes par la persuasion, d’abord, puis par l’attrait financier, pour un résultat limité : 2 % des communes (746) ont fusionné entre 1960 et 1970.
La loi Marcellin souhaite pousser à une coopération intercommunale généralisée dans le secteur rural et à la fusion des plus petites communes. Sous la responsabilité des préfets, avec l’arbitrage des conseils généraux: seulement 1 168 communes (3 % de l’effectif général) seront rayées de la carte.
La crainte de fusions forcées accélère le mouvement. Ce sera la grande époque des SIVOM (Syndicats à vocations multiples).
De cette structure va naître la loi du 6 février 1992 qui crée les schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI) et prévoit une couverture généralisée du pays par les intercommunalités : la coopération intercommunale, qui jusque-là n’était qu’une possibilité (une option), devient une obligation.
Une autre loi de décembre 2010 instaure la constitution de ces communautés de communes, placée sous le triple signe de la « libre volonté » des communes les constituant, de « projets de développement » élaborés en commun, et d’un « espace de solidarité ».
Ces collectivités s’organisent sur le principe de compétences transférées, soit « de droit » (économie, aménagement de l’espace), soit optionnellement (choix d’au moins une compétence dans un groupe de quatre compétences optionnelles), soit, encore, librement (compétences facultatives).
Les communautés de communes ont accès aux moyens financiers nécessaires à cette obligation. Elles perçoivent la taxe professionnelle des communes. En leur qualité de collectivités à fiscalité propre, elles perçoivent la dotation globale de fonctionnement (DGF) reversée par l’Etat.
La communauté de communes affirme sa pertinence
193 communautés de communes existent en 1993. En 1997, on a dépassé le millier (1 105), 2 032 en 2002. Du fait des deux révisions des SDCI, il n’y a plus que 1 263 intercommunalités au 1er janvier 2017.
La loi de juillet 1999 prévoit la continuité territoriale, l’augmentation du nombre des compétences, le renforcement des dotations de l’Etat, tout en laissant de côté les thématiques qui « fâchaient » : extension du référendum sur les questions locales, notion d’intérêt communautaire, élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct…
La loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010, qui s’appuie sur les préconisations du « comité Balladur », a un triple objectif à l’horizon du 1er janvier 2013 :
- disparition des communes isolées,
- chasse aux trop petites intercommunalités, on fixera la taille minimum à 5 000 habitants, avec dérogation pour la zone de montagne,
- dégraissage de la pléthore de syndicats.
- Le tout sous la houlette des préfets.
La loi ne se contente pas de chercher à rationaliser la carte des intercommunalités par la suppression des structures intercommunales suspectes de dynamisme insuffisant ou jugées superflues, elle crée la métropole et aligne l’élection des conseillers communautaires sur celle des conseils municipaux, avec lesquels elle les couple, tout en renvoyant les modalités de celle-ci à une loi ultérieure, qui sera celle du 17 mai 2013 instaurant le fameux (fumeux) fléchage.
La dernière née, la loi NOTRe du 7 août 2015, « Nouvelle organisation territoriale de la République », redéfinit la distribution des compétences entre les différents niveaux de collectivités territoriales.
Au niveau de la coopération intercommunale, elle n’aura été, finalement, qu’une loi de complément et de correction de la loi de 2010.
- Il s’est agi, surtout, de remettre sur le métier la carte de l’intercommunalité, en particulier pour ce qui est du seuil de population minimum admis pour une communauté de communes, porté à 15 000 habitants (avec une déclinaison de dérogations liées au contexte territorial), ce qui a impliqué une nouvelle révision des schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI), assortie d’un nouveau dépoussiérage du « capharnaüm syndical ».
- Elle a mis l’accent sur le renforcement et l’extension du panel de compétences communautaires : accentuation de la compétence économique avec l’adjonction du tourisme, introduction des domaines de l’eau (y compris la gestion des milieux aquatiques), de l’assainissement, des déchets ménagers, des aires de gens du voyage, dans le champ obligatoire, des maisons de service public dans le champ optionnel, déclinaison d’un certain nombre de règles (en particulier concernant la gestion des personnels) en matière de transfert de compétences et de mutualisation.
Par contre, elle a dû abandonner en route certaines de ses visées estimées « sulfureuses » (suppression des conseils généraux à l’horizon 2020, création d’un haut conseil des territoires).
Face à l’obstructionnisme tenace des prédicateurs de l’autonomie communale, seront abandonnées
- l’élection découplée des conseillers communautaires,
- la mise en place des PLUI (Plans locaux d’urbanisme intercommunaux).
Malgré les combats d’arrière-garde qui continueront encore pour un temps d’entraver sa marche, l’intercommunalité avance, car son intérêt est depuis longtemps admis par l’ensemble du paysage politique national, à preuve son absence de remise en cause lors des alternances politiques et la mise en œuvre de réformes aussi bien par des gouvernements de droite que de gauche.
Le débat réside encore au niveau du mode d’élection, de la dévolution de certaines compétences, de la taille des collectivités, des fusions…)
Le système doit s’appuyer sur un partage éclairé des compétences entre l’échelon communal et l’échelon communautaire. Il est impératif qu’on définisse la taille de la « communauté » idéale et qu’on introduise une dose de suffrage universel direct dans l’élection des élus communautaires.
Pour mener le chantier à son terme, il va falloir encore vaincre beaucoup de frilosités et de rentes de situation…
Lire aussi: nombre d’élus-l’autre mille feuille francais
RAD
(sources Freddy Martin – Rosset , auteur de « Demain, les communes en communauté » – conférence du 26 janvier 2017 à Saint Jean de Muzols)
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