« Ils quittent un à un le pays pour s’en aller gagner leur vie loin de la terre où ils sont nés », chantait Jean Ferrat.
Les paysans ne sont pas tous partis. Certains se sont accrochés à la terre dans une campagne ardéchoise dorénavant plus riche en résidences secondaires et en sangliers qu’en agriculteurs.
On va l’appeler Jean, il est né juste après la deuxième guerre mondiale. Son grand-père a fait le tour de son village du Vivarais ardéchois pour annoncer qu’il aurait un successeur à la ferme. « Le fils premier-né appartient à la terre. Elle en hérite ».
Ainé d’une famille de cinq enfants, Jean était donc naturellement destiné à reprendre l’exploitation familiale.
« J’ai connu la traction humaine », se souvient-il: avec les bourens, grands sacs généralement en toile de jute accrochés sur la tête, il transportait paille, foin, pierres et fumier sur ses terrasses pentues.
Les bœufs le soulageaient des tâches les plus difficiles.
La ferme de Jean fait alors vivre trois générations. Travail des champs, fenaisons, moissons, culture du châtaignier, chèvres, vaches, poules, lapins, cochons : « On n’arrêtait jamais de travailler. Il y avait soixante familles au village, et tout le monde vivait de cette façon ».
En 1961, Jean revient de la guerre d’Algérie. Les premiers bouleversements de cette agriculture séculaire commencent: le productivisme est né.
On plante des cerisiers et des pêchers, c’est le début de l’arboriculture, avec la mise en place des coopératives agricoles.
Mais pour avoir un revenu stable, Jean est contraint d’occuper une place de chauffeur de cars à temps partiel dès 1970.
Existences de forçats !
Il achète son premier tracteur. Pour en faciliter le passage, les parcelles non mécanisables sont abandonnées.
La mécanisation a été un piège : Il fallait produire toujours plus, aller plus vite, acheter des terres… Il fallait parait-il « évoluer » pendant que les copains partaient en ville, devenaient gendarmes, mécaniciens, maçons, cheminots…
Certains pensaient que le pays « foutait le camp ». Les jeunes qui revenaient en vacances faisaient remarquer l’inconfort dans cette campagne sans salle de bains, sans WC… On pensait qu’en ville c’était le paradis, le théâtre et les spectacles…
Quand tout le monde avait les mêmes conditions de vie, les campagnes étaient agréables. Mais le tourisme a fait comprendre les difficultés d’y vivre.
Pour qu’une exploitation soit reprise, il ne faut pas seulement produire un héritier biologique, mais aussi un héritier qui souhaite continuer à vivre comme ses parents.
Jean travaillait encore plus pour financer la modernisation de sa maison, les sorties…
Trentenaire dans les années 1970, notre agriculteur est en désaccord avec son syndicat des Jeunes Agriculteurs car il avait compris que pour s’en sortir, il fallait se réorienter vers le tourisme.
Dans ses granges, il construit des gîtes ruraux : c’est le balbutiement du camping à la ferme.
En 1955, l’Ardèche comptait près de trente mille exploitations agricoles. Dans la commune de Jean, des soixante fermes qui existaient à la Libération, il n’en reste que sept aujourd’hui…
Quatre ont été reprises par des néo-ruraux (lire ou relire à ce sujet (Témoignages – Retour à la terre), la plupart sont devenues résidences secondaires, ouvertes à peine un mois à l’année, neuf ont été transformées en gîtes.
Selon Jean, ce dépérissement est dû au Marché Commun avec la mise en concurrence des agriculteurs européens.
Sur le plan national, en 1962, une loi fixe pour objectif l’abaissement du nombre d’exploitations d’environ 2,25 à 1 million, dans un délai aussi bref que possible.
En quinze ans, plus de six cent mille agriculteurs se retirent, encouragés par des dispositifs comme l’indemnité viagère de départ ou la prime qui permettait aux jeunes agriculteurs de bénéficier d’un logement indépendant de leurs parents.
Ceux qui restent entrent dans la spirale des achats de matériel à crédit.
Pour améliorer les rendements l’endettement rural quadruple entre 1960 et 1973… et le Crédit agricole devient la première banque française…
Par le biais de soutien régulier à la « banque verte », l’Etat en fait le bras armé de sa politique.
En 1968, il fixe des seuils minimaux pour les superficies d’exploitation et contraint les petits paysans à disparaître : les prêts bonifiés du Crédit agricole leur sont tout simplement interdits
Le soir, il y avait trois générations sur les pas des portes. Les anciens racontaient leur guerre, les femmes parlaient de leur travail, les gamins jouaient…
Dans chaque écurie, quatre ou cinq vaches, dont deux dressées pour le trait, les vieux les emmenaient boire à la fontaine.
On entendait siffler le Mastrou…
Qu’en reste-il de nos jours, à part le Mastrou renommé Train de l’Ardèche ?
A la naissance de son premier enfant, Jean pensait que ce fils reprendrait l’exploitation…
Vingt-cinq ans plus tard, il a passé la tronçonneuse sur sa centaine de cerisiers… pour éviter la broussaille !
Le cours des fruits est souvent si bas que l’on peut perdre de l’argent à les ramasser.
Le grand gibier, presque absent il y a une cinquantaine d’années, prolifère depuis les années 1970: une présence liée et proportionnelle à la déprise agricole.
Quand la broussaille commençait à gagner le pays on se disait qu’on chasserait un jour le sanglier autour du village. De nos jours, on chasse le sanglier partout…
Aujourd’hui, aux touristes qu’il accueille dans ses gîtes et qui lui demandent où se situent ses terres, Jean répond qu’il n’en reste rien, hormis « des taillis, des pins, des chênes et des genêts ».
Ses deux enfants ont quitté l’Ardèche : Ils l’ont vu bosser comme quatre, et presque pour rien.
Ils sont partis gagner leur vie ailleurs… « et manger du poulet aux hormones » !
RAD
Il est très bien cet article, il pose bien les choses telle qu’elles sont. En regardant la réalité à travers mon pessimisme j’aurais tendance à poser comme question: qui du sanglier ou du chasseur survivra à l’autre ? Etant donné la capacité de l’humain à faire n’importe quoi d’où l’accélération du réchauffement de la planète la réponse est: aucun des deux be cause on va tous crever.
Maintenant en regardant avec plus d’optimisme on pourrait commencer par arrêter d’importer les sangliers (entre autre de Pologne),celà ferait moins de dégâts dans les terres cultivées et n’empêcherait pas les chasseurs de tenir le rôle de régulateur vis à vis de la faune dite « sauvage »,c’est vrai il y en aura moins dans les frigos,mais c’est pas vraiment grave comme problème.
Ensuite il faut remettre de l’économie en avant et pour celà il faut du sang neuf,c’est à dire des personnes venant d’ailleurs avec des compétences nouvelles qui puissent répondre aux besoins d’aujourd’hui que ce soit dans l’agriculture ou tout autres métiers utiles à une société équilibrée. Nous avons la chance d’avoir sur le canton de Lamastre un potentiel de personnes porteuses de projets avec beaucoup de capacités mais qui se heurte à un mur de rejets d’une partie de la population et de ses représentants; c’est dommage d’autant plus que ces mêmes personnes oublient que ce sont des « étrangers » qui les torcherons les laverons et les aiderons à vivre plus paisiblement leurs derniers jours. Ce qui est déjà beaucoup le cas aujourd’hui !
En conclusion je tiens à saluer les ardéchois et les élus qui sont ouvert aux autres, particulièrement à Désaignes.
pessimisme : eh bien on crèvera
optimisme : je pense qu’il faut connaître le monde de la chasse, et depuis des années il y a de plus en plus de sangliers, ils mutent au gré de leur survie, pas besoin d’en importer
eh pourquoi des étrangers torcheraient, laveraient et aideraient à vivre plus paisiblement dans l’assistanat il y a aussi des ardéchois qui sont dévoués, je n’aime pas trop cette manière de monter les ruraux aux « étrangers » cela ne peut qu’attiser les rancoeurs. Où se situe l’équilibre de la société ?
Excellent article , un peu trop nostalgique … chaque époque a du bon , nous avons restauré le hameau abandonné et ruiné de Fontbonne, aujourd’hui nous accueillons des Parisiens, des Allemands, des Belges , des Hollandais dans nos gîtes qui abritaient jadis trois familles de paysans Ardéchois … Nos gîteurs apprécient le paysage et l’accueil , la vie continue autrement … des communautés s’installent dans d’autres hameaux cultivant l’autonomie comme principe et la permaculture comme méthode … Que la montagne est belle … Vive la vie !
Très belle rétrospective réaliste. Peut-être un article sur des initiatives innovantes locales (ex. « La Mauvaise Herbe », à Desaignes) serait le bienvenu à la suite de celui-ci ?