Peyrebeille « l’auberge rouge » – entre légende et réalité

 

Sur le plateau de la montagne ardéchoise, à 1260 mètres d’altitude, sur la route nationale entre Aubenas et le Puy-en-Velay, à la frontière entre l’Ardèche et la Haute-Loire, à quelques kilomètres du village de Lanarce, au milieu d’une nature sauvage, se situe l’auberge de Peyrebeille où déjà au XVIème siècle les moines de Mazan avaient établi une maison pour que les voyageurs puissent se restaurer et se reposer.

 

 

 

Le décor est planté: celui d’une des plus retentissantes affaires criminelles du 19ème siècle: l’affaire de «l’Auberge Rouge».

 

 

Source d’inspiration de plusieurs écrivains et cinéastes, histoire racontée de génération en génération dans les familles ardéchoises, l’auberge de Peyrebeille aura fait couler beaucoup d’encre et l’affaire criminelle dont elle fut le témoin l’a rendue tristement célèbre.

 

Entre légende et réalité, entre rumeurs et ragots, entre récits et imaginaire, l’affaire de «L’auberge rouge» n’a pas encore livré tous ses secrets…

 

Histoire de l’Auberge

Pierre Martin, et son épouse Marie Breysse, s’installent en 1808 dans le hameau de Peyrebeille. Ils reprennent comme métayers, un corps de ferme, succédant aux parents de Marie.

En ce lieu désolé, ils décident de construire une auberge.

Les futurs aubergistes sentent qu’il manque, entre les deux entrées du plateau, un relais sur cette route très fréquentée.

Dans un premier temps, ils transforment l’habitation en auberge – relais.

 

En 1818, ils édifient l’auberge, font raser des bâtiments proches qu’ils viennent  d’acheter et construisent l’important édifice que l’on peut voir encore aujourd’hui.

 

 

 

Ils vont gérer ce lieu d’une main de maître, les aubergistes se font rapidement une excellente réputation grâce à l’attrait de leur table et au fait qu’ils sont toujours prêts à aider les voyageurs en difficulté.

 

 

 

 

Les affaires prospèrent avec une telle rapidité que le couple Martin achète bientôt plusieurs terres aux environs, ils prêtent même des sommes importantes à plusieurs de leurs connaissances.

Devenus riches, le couple commence à attirer la curiosité des voisins, voire la méfiance et la crainte.  D’où vient cette fortune ? « Comment devient-on aussi riche en si peu de temps quand on a commencé avec seulement une chèvre blanche et une vache noire »

 

La rumeur

 

Une rumeur enfle rapidement : le couple d’aubergistes, avec la complicité de leur neveu André Martin et de leur domestique, Jean Rochette surnommé  «Fétiche» (le teint hâlé de Jean Rochette le fera décrire à tort comme un mulâtre originaire d’Amérique du Sud. En fait, il est bien d’origine ardéchoise), assassinerait et détrousserait les voyageurs qui font étape la nuit dans leur auberge.

 

Entre 1818 et 1830, on prête aux époux Martin et leurs complices une centaine de meurtres et disparitions… et un enrichissement sordide sur le dos de leurs clients.

 

Tout le monde les soupçonne mais tout le monde craint les aubergistes et leur robuste domestique… Personne ne les dénonce.

 

12 octobre 1831

 

Ce jour-là, au bord de la rivière Allier, le crâne fracassé et le genou broyé, le corps du maquignon Jean-Antoine Enjolras est retrouvé par des pêcheurs.

 

Ce cultivateur de 72 ans aurait disparu alors qu’il rentrait de la foire de Saint-Cirgues en-Montagne où il était allé acheter du bétail. Sur le chemin du retour il aurait égaré sa génisse et la nuit tombant aurait cessé ses recherches.

Il aurait décidé de passer la nuit du 12 octobre 1831 dans l’auberge des Martin…

 

La rumeur a trouvé son coupable : ce sont les aubergistes qui l’ont tué pour le détrousser comme tant d’autres clients auparavant.

 

Arrêtés le 1er novembre, Pierre Martin et son neveu, André Martin sont des coupables tout désignés… Certains témoignages confortent l’opinion publique. Le lendemain, le domestique Jean Rochette est également arrêté.

Les trois accusés sont transférés à Largentière. L’épouse de l’aubergiste, Marie Breysse, est arrêtée quelques jours plus tard. L’auberge est fouillée. Pas de preuves, pas de traces des meurtres ou des disparitions. Ces preuves ont-elles été effacées ?

 

Le procès

 

Le 18 juin1833, leur procès s’ouvre aux Assises de l’Ardèche à Privas.

 

Les époux Martin, Jean Rochette et André Martin sont accusés de deux assassinats, quatre tentatives d’assassinats et de plusieurs vols entre 1808 et 1831.

 

Cent neuf témoins sont appelés à la barre et le procès s’enlise. On pense même à prononcer l’acquittement des accusés.

(le four de l’auberge)

Des témoins disent avoir vu des draps de lits ou les murs de l’auberge tâchés de sang, d’autres soupçonnent les aubergistes d’avoir fait disparaître les corps en les brûlant, d’autres se disent témoins de brancardages de cadavres la nuit le long des chemins. Certains évoquent même la possibilité que les aubergistes ont fait mijoter leurs victimes dans la marmite pour le dîner…

 

Si ces témoignages, dont on peut douter de la véracité, arrivent trop tard pour les dizaines de meurtres mis au crédit des aubergistes, leur sort semble scellé à propos du meurtre de Jean-Antoine Enjolras.

 

Selon le témoin Claude Pagès, le cadavre aurait été transporté sur une charrette par Pierre Martin, le domestique et un inconnu depuis l’auberge jusqu’à la rivière.

Laurent Chaze, un mendiant de la région aurait tout vu et entendu. Ce soir-là, il est chassé de l’auberge, faute de pouvoir payer son lit. Caché dans une remise, il aurait assisté à l’assassinat d’Enjolras.

 

S’il semble vrai que Chaze ait vu quelque chose d’anormal, il est aussi possible que son témoignage ait été « arrangé ». En effet, celui-ci s’exprimait en patois tandis que les audiences se déroulaient en français. La communication était compliquée.

 

L’avocat de Jean Rochette a, au cours de sa plaidoirie, implicitement accepté le fait que son client était un assassin en plaidant l’irresponsabilité de ce dernier car il ne pouvait pas échapper à l’influence de ses maîtres.

Cette plaidoirie a sans doute contribué à sceller le sort des accusés

 

Un seul chef d’accusation sera retenu : celui du meurtre de Jean-Antoine Enjolras.

Le 25 juin 1833 le jugement est rendu : André Martin le neveu est totalement blanchi tandis que le jury déclare les trois autres accusés coupables de meurtre.

 

Les aubergistes n’ont jamais avoué. Ils sont condamnés à mort et incarcérés à Privas.

Leur pourvoi en cassation est rejeté et le roi Louis-Philippe repousse la demande de grâce : les accusés seront exécutés.

 

 

Avertis la veille de leur exécution, les trois condamnés sont escortés par des gendarmes depuis Privas jusqu’à Peyrebeille..

En chemin, badauds et curieux sont amassés le long des routes pour pouvoir apercevoir le convoi; certains les insultent, d’autres leur crachent dessus.

 

Après un jour et demi de trajet, les condamnés arrivent sur le parking de l’auberge où un foule de plus de 30 000 personnes est venue de toute la région pour assister aux exécutions.

Le 2 octobre 1833, la première à passer sous la guillotine est Marie Martin suivie de son mari Pierre et de leur domestique. Ce dernier, avant d’être exécuté, s’écrie : «Maudits maîtres, que m’avez-vous fait faire ?»

La légende était née… mais les doutes subsistent.

 

Plusieurs historiens pensent que la culpabilité des Martin n’est pas démontrée. Il semblerait qu’Enjolras soit simplement mort d’une crise cardiaque après avoir trop bu.

Des témoignages manifestement irrecevables ont influencé négativement le jury.

Le président de la cour d’assises a sciemment ignoré les arguments apportés par la défense qui a insisté sur le fait que le témoin principal était un clochard ivrogne.

De nombreuses pièces du dossier ont disparu des archives judiciaires. Les pages des livres d’état civil faisant état des étapes de la vie des époux Martin ont été arrachées.

 

Le mystère de la culpabilité ou de l’innocence des époux Martin ne sera jamais éclairci, sauf à retrouver un jour les pièces du dossier…

 

Contexte historique

 

Cette affaire mérite d’être replacée dans son contexte historique.

Aux insurrections des Canuts de Lyon en 1831, répond celle des forêts royales en Ardèche. Le droit du ramassage du bois est restreint pour les paysans au profit des scieries dont certaines seront incendiées et leurs bois coupés.

Des bandes de coupeurs opéraient de nuit dans un terrain qu’ils connaissaient parfaitement et n’avaient aucune peine à mettre la gendarmerie en déroute.

Le préfet ordonna de faire revenir l’ordre.

 

C’est dans ce contexte que le dossier des Martin a été instruit.

Leur procès eut également pour fond un règlement de compte politique car nul n’ignorait l’appartenance du couple au clan des ultra-royalistes.

Tous savaient que Marie Breysse avait caché un curé réfractaire, que Pierre Martin était un homme de main de la noblesse locale qui avait fait pression sur des propriétaires afin qu’ils cèdent leurs terres à bas prix aux nobles revenus d’exil. De plus, il était soupçonné de sympathiser avec les coupeurs des bois.

Les aubergistes étaient donc en butte au mécontentement général.

 

L’histoire de l’Auberge Rouge resta longtemps dans les esprits, entretenue par les nombreuses complaintes chantées pendant les foires et les veillées.

 

 

 

Elle inspira nombre de romanciers et réalisateurs: parmi eux, Claude Autant-Lara qui réalisera en 1951 le film  « L’Auberge Rouge » interprété par Fernandel et Françoise Rosay.

 

En 2006, Gérard Krawczyk réalise un remake avec pour acteurs principaux Christian Clavier, Josiane Balasko et Gérard Jugnot.

 

 

 

 

L’actuel bâtiment n’a guère été modifié depuis 1831, il abrite aujourd’hui un musée que l’on peut visiter. Il conserve le mobilier et les décors de l’époque.

Un hôtel et un restaurant jouxtent les bâtiments plus que centenaires et même si le goudron a remplacé les ornières et certains champs alentours, on ne peut que constater la force et la puissance qui se dégagent du lieu.

 

Le musée Crozatier du Puy  conserve les masques mortuaires des suppliciés.

 

RAD

 

1 commentaire sur Peyrebeille « l’auberge rouge » – entre légende et réalité

  1. Nous sommes passés souvent vers 1975 en faisant la route de nos week-ends du Puy vers Aubenas, et en effet, je confirme, le lieu dégage une puissante évocation. C’est dû évidemment à la puissance du récit qui entoure le lieu et au caractère macabre, le fait qu’il charrie l’univers du 19ᵉ siècle tel qu’on a pu le lire dans Maupassant ou Zola, et de plus pour nous qui venions de Saint Etienne, c’était le bout du monde et du temps. Comme vous le rappelez, le fait que les aubergistes soient ultras royalistes ajoute la dimension politique, entre la révolution des Trois Glorieuses (1830) et la fin du règne du très ultra Charles X.

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